Comment les jeunes voient le monde de l'entreprise

Les jeunes aussi aiment leur travail. Entre envie de créer leur entreprise et désir de donner un sens à leur métier, les 20-30 ans réinventent leur rapport au travail.

Merwan Amaddah, apprenti en alternance,se projette dans un avenir professionnel à l’étranger.
Merwan Amaddah, apprenti en alternance,se projette dans un avenir professionnel à l’étranger.

    Le jeune de 2019 serait donc un geek.

    Le nez rivé sur sa tablette, il aurait un problème avec l’engagement, l’autorité, le travail. Surtout, loin des idéaux de ses parents, il n’aurait pour seul moteur que son individualisme forcené qui l’amènerait à naviguer d’un employeur à un autre sans réel objectif. Qui n’a pas déjà entendu ces clichés qui collent aux semelles des fameuses « générations X » ou « Z » ?

    Ces idées reçues sont battues en brèche par les études récentes qui portent sur les relations qu’entretiennent les jeunes nés à partir du milieu des années 1980 avec le monde du travail. Selon le dernier baromètre « santé et qualité de vie au travail »* de la mutuelle Malakoff Médéric, 76 % des 18-29 ans se déclareraient satisfaits de leur travail. Ils seraient près de 8 sur 10 (78 %) à trouver du sens à leur activité professionnelle, à égalité avec les autres générations. Mieux, ils auraient même une vision plus dynamique de leur carrière que leurs aînés.

    Le chômage, une mauvaise passe

    Selon une autre enquête, « Parlons travail », réalisée cette fois par le syndicat CFDT en 2016, les 20-30 ans ne nourriraient pas une vision ultra-pessimiste du monde du travail. Si un répondant sur deux (quel que soit l’âge) déclare que le chômage est une mauvaise passe, les 15-29 ans le considèrent moins destructeur que leurs aînés (31 % pour les 45 ans et plus, contre 18 % pour les 15-29 ans). Pour 31 % d’entre eux, ce serait même une parenthèse bienvenue, un tremplin pour rebondir.

    « Arrêtons avec cette peur du jeune compétiteur ultra-individualiste, dit Julie Béné, sociologue à l’Institut national de la jeunesse et l’éducation populaire (Injep). Le travail garde une place prépondérante dans la vie des jeunes mais ce rapport évolue en fonction du niveau d’études. Les plus diplômés visent davantage que leurs aînés l’épanouissement personnel. Pour les autres, ce qui est le plus important, c’est principalement le seul fait d’avoir du travail. »

    Echaudé par le chômage de masse, rompu aux codes du CDD, de l’auto-entrepreneuriat, désireux d’avoir une vie professionnelle multiple, le jeune de 2019 ne serait-il pas juste en phase avec son époque ? Ne s’adapterait-il pas aux « nouvelles règles » du marché du travail, comme nous avons intitulé le supplément distribué avec ce numéro où l’on s’aperçoit que, depuis 2016, de multiples réformes ont touché à la fois l’entreprise, les systèmes de formation, d’apprentissage et d’assurance chômage ?

    Les jeunes aussi aiment leur travail.

    Le jeune de 2019 a ses singularités. Plus que son aîné, il voudrait créer son entreprise. « Un jeune sur deux de 15 à 29 ans serait tenté de créer sa boîte », assure l’étude de la CFDT. Ces singularités sont aussi liées à l’évolution de la structure du marché du travail. « Les jeunes travailleurs vivent dans le court terme. Ils doivent dessiner eux-mêmes leur trajectoire professionnelle. Dès lors, ils n’ont pas la même loyauté envers l’employeur », disent Dominique Méda et Patricia Vendramin dans leur article « Les générations entretiennent-elles un rapport différent au travail ? ». Cette relation non exclusive avec l’employeur amène la jeune génération à se tourner vers d’autres centres d’intérêt. Y figurent, selon ces sociologues, la famille, les relations amoureuses, les loisirs, l’engagement et, toujours en bonne place… le travail.

    * Sondage réalisé par l’Ifop auprès de 4 552 salariés entre le 17 mai et le 20 juin 2019.

    "Je veux créer mon entreprise", Merwan Amaddah

    Son credo ? « Etre libre et indépendant . » Voyager, aussi. Originaire de Montpellier (Hérault), Merwan Amaddah , 23 ans, a posé ses bagages depuis un peu plus d’un an à Paris après un BTS pour devenir apprenti et intégrer le centre de formation d’apprentis (CFA) du bâtiment Saint-Lambert, dans le sud de Paris, où il suit une formation en économie de la construction. Mais dès qu’il a un moment — entre ses cours et son emploi de conducteur de travaux à mi-temps en alternance —, il fait ses valises pour parcourir le monde. « Je reviens d’Istanbul où j’ai été avec des amis. J’ai aussi de la famille à Dubaï à laquelle je rends visite de temps en temps. »

    Son avenir professionnel, Merwan le voit pour l’instant à l’autre bout du monde. « J’aime bouger, ne pas rester toujours au même endroit », lâche-t-il, l’air confiant et déterminé.

    Avoir une vie épanouissante

    Son rêve serait aussi de créer son entreprise. « Je sais que je pourrais le faire. J’aime bien la liberté mais dans les groupes, j’ai aussi un goût pour l’organisation, prendre les commandes. Que je le veuille ou pas, je fais le chef. » Et s’il n’y arrive pas ? Merwan a trouvé la parade. « Je pourrais très bien devenir salarié. Mais il faudrait que j’aime ce que je fais, avoir un emploi stable. »

    Avoir une vie épanouissante, aussi, pouvoir se reposer de temps en temps. Il y a deux ans, alors qu’il était encore à Montpellier, Merwan a tenté de jongler entre sa vie d’étudiant et son boulot sur les chantiers. « C’était trop difficile. Je partais travailler en sortant des cours. Je révisais en rentrant du travail. J’avais pris l’habitude de dormir trois heures par nuit. Je ne voudrais jamais revivre ça. »

    "J’avais peur du CDI", Alice Ung

    Lorsqu’elle était étudiante, Alice Ung le confie sans détour : « J’avais peur du CDI. » La jeune femme, créatrice dans l’âme, rêvait de grands voyages et était passionnée par l’univers de la publicité. Aujourd’hui, après avoir décroché un diplôme de graphiste à la prestigieuse école des Gobelins à Paris (XIII e) et travaillé deux ans en alternance pour des agences de publicité ayant pignon sur rue, elle a dépassé sa peur de l’engagement pour devenir salariée.

    Voilà plus de deux ans qu’Alice, âgée de 26 ans, travaille cinq jours sur sept de 10 heures à 19 heures comme directrice artistique chez Shine, une start-up française basée dans le quartier du Sentier, à Paris. La société propose des services en ligne pour les travailleurs indépendants. Là, elle dessine des logos et définit l’identité visuelle de son entreprise au contact de collègues qu’elle dit superviser plutôt que manager. « Je déteste ce mot. »

    Alice ne se lasse-t-elle pas ? « A vrai dire, je collais de mauvaises images mentales sur la vie en entreprise. J’aime l’idée de travailler en groupe, d’être stimulée intellectuellement. J’estime que j’apprends tous les jours au contact de mes collègues. Le jour où j’arrêterai d’apprendre, je partirai », assure la jeune femme qui a déjà reçu différentes offres d’emploi qu’elle a refusées ces dernières années.

    Adepte du télétravail

    « Travailler pour une entreprise en laquelle on croit, c’est construire quelque chose d’un peu plus grand que soi », lâche Alice, qui poursuit aussi une activité de travailleuse indépendante en free-lance. Au moins deux à trois fois par an, elle fait ses bagages et installe son bureau (en l’occurrence, son ordinateur) quelque part en France ou à l’étranger. Adepte du télétravail et « travailleuse nomade », comme elle se définit, Alice peut bûcher sur ses missions aussi bien chez elle à Paris, qu’à… Taïwan où elle vient de passer trois semaines cet été. Son « bureau » était posé dans… des cybercafés.

    "On peut tous proposer des améliorations de nos postes", Anne-Laure Brouillat

    Anne-Laure Brouillat est reponsable de la communication pour la société Castalie.

    « Avant, je travaillais dans la pub. Mon métier n’avait pas de sens et je n’étais pas bien rémunérée. Aujourd’hui, c’est tout le contraire. » Arrivée il y a cinq semaines dans l’entreprise Castalie, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), Anne-Laure Brouillat a réfléchi durant un an à ses aspirations professionnelles. « Je voulais vraiment donner du sens à mon travail. Et là je suis servie », poursuit la trentenaire parisienne, diplômée d’une école de commerce. et désormais chargée de communication.

    Créée en 2011, la société Castalie propose une alternative aux eaux en bouteilles, par le biais d’un système de microfiltration de l’eau du réseau. « Pour moi, c’est important de travailler dans cette structure de 50 salariés qui essaie de répondre aux défis écologiques », s’enthousiasme Anne-Laure.

    D’autres éléments ont aussi fait pencher la jeune femme en faveur de cet employeur. « Le jour de mon entretien, ma future manageuse m’a raconté qu’elle avait été embauchée enceinte. J’ai trouvé ça chouette. Et quand on a 30 ans, c’est un message important… » Anne-Laure, qui sait manifestement exactement ce qu’elle veut et ne veut pas, y voit une cohérence entre le discours de l’entreprise et ses pratiques internes. « Je ne voulais pas travailler dans une ONG et me retrouver en burn-out au bout de six mois ! » sourit-elle.

    Une entreprise sans culture du présentéisme

    Sur ce point aussi, son nouvel employeur cochait la bonne case : « On a une grande liberté dans l’organisation du travail : deux jours de télétravail par mois, pas de culture du présentéisme et une flexibilité qui tient compte des impératifs personnels ». Sans compter ce « plus » qui en dit long sur la philosophie des dirigeants de la jeune entreprise : « Chaque lundi, on nous offre un petit déjeuner bio, raconte Anne-Laure. C’est sympa, et en plus ça aide les nouveaux à s’intégrer, ça crée du lien avec les personnels de terrain ».

    Chaque nouvel arrivant a le choix entre une carte Navigo pour se déplacer en transports en commun gratuitement ou un vélo électrique de fonction. La qualité de vie au travail n’est pas un vain mot ici. « On peut tous proposer des améliorations de nos postes, de nos organisations. Il n’y a pas que le boss qui a raison ici, et ça c’est important aussi : l’écoute. »

    Bérangère Lepetit & Daniel Rosenweg

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    EDC Paris Business School
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    Commerce / Gestion / Management
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